Les Mots chantant

Les Mots chantant

Sans Gloire, du recueil Inévitable

Sans Gloire

 

Une forêt au milieu de nulle part, une maison entre deux montagnes, et au loin une guerre effroyable. Lorsque l’on s’approchait de la maison, on voyait une petite fille assise sur une souche d’arbre, les yeux perdus dans le ciel rougeâtre, sa douce voix tournoyait comme une fronde pour toucher le cœur des oiseaux. Et lorsque l’on regardait de plus près, on voyait sa mère, bercée par cette douceur lavant le linge dans la seule rivière brisée de milles verres optée pour cette histoire sans gloire. On avait envie alors de fermer les yeux pour à notre tour se laisser bercer par ce chant mélodieux et ces paroles si douces : Tu es rouge, rouge, pays de mon cœur,  ton ciel se couche, pour faire taire ta douleur, il est rouge, rouge, ton ciel de douleur et la mer le touche, pour que la guerre meure…          

Mais là une horrible voix vint briser cette rêverie, c’était un bébé qui pleurait. La mère abandonna tout de suite son linge et la petite fille se tut. Elles accoururent toutes les deux dans la dernière pièce de la maison. Une fillette dans un berceau de bois, s’égosillait pendant que la mère la prenait dans ses bras. La petite fille regardait sa mère et elles comprirent que les pleurs d’un enfant n’apportaient rien de bon.

Le lendemain une triste nouvelle, sur une lettre dactylographiée : un héros pour vos filles, un héros pour le pays, la guerre l’a capturé, nous ne l’oublierons jamais. A cet instant la mère comprit, elle appela sa petite fille et lui demanda de chanter. Tu dois chanter pour lui, son âme s’est enfui.

Tu es rouge, rouge, pays de mon cœur,  ton ciel se couche, pour faire taire ta douleur, il est rouge, rouge, ton ciel de douleur et la mer le touche, pour que la guerre meure.

Tu es rouge, rouge, père tu es dans mon cœur, ton âme se couche, mais accentuée est ma douleur, il est rouge, rouge, mon cœur de douleur et notre mère se couche, la guerre est son malheur…

Vingt printemps passèrent, et la mère laissa son âme s’enfuir. La guerre qui avait tellement détruit, parut anéantie. Les filles avaient grandi, la petite fille était devenue une damoiselle. Elles étaient toutes les deux très belles, aussi belles que deux roses. Un jour, mais un jour favorable et obsédant à l’amour qui, peut-être, se garantissait, alors que l’aube venait de se lever, la damoiselle couverte d’une mantille alla arpenter la forêt et se mit à chanter. Sa jeune sœur la suivit, puis elles décidèrent de se séparer. Si l’on regardait bien cette forêt, on pouvait voir, les jeunes filles cueillir quelques belles fleurs afin de fleurir les pierres tombales de leurs parents. Et à l’autre bout de la forêt, un jeune damoiseau, il se savait beau et venait lui aussi arpenter cette forêt. Et s’escrimant à chasser, il entendit la douce voix de la damoiselle s’envoler. A cet instant il sentit les battements de son cœur s’accélérer. Il voulut trouver cette voix, et se mit à courir, il s’approcha, il s’approcha et là. Là sous ses yeux une très belle demoiselle cueillait quelques digitales pourpres. Le voile délicatement posée sur ses cheveux glissa, et laissa découvrir sa magnifique chevelure brune. La voix se tut, elle se retourna, surprise de cette rencontre, elle lui sourit. Ébloui, il s’avança, et la complimenta, magnifique, douce, irréelle voix. Elle comprit et n’osa prononcer un mot. Il voulut savoir son nom, mais elle ne répondit pas, il la supplia de lui parler, mais elle annonça un non par la tête et s’enfuit en courant. Il la poursuivit, mais elle connaissait cette forêt depuis qu’elle était toute petite, elle finit par lui échapper. Dans sa tête, elle entendait comme venue de loin la mélodie que sa sœur chantait :

Mon cœur marqué au fer rouge, de ton regard, s’égare.

Ton cœur seigneur de ma bouche, subit un silence écarlate.

L’amour parfois touche au plus près du sang

Et le corps s’effondre rubescent...

Elle arriva enfin chez elle. Le damoiseau, lui, s’était perdu, il avait stoppé sa course, et avait cessé d’appeler celle dont il ignorait le nom. Il marchait en espérant retrouver son chemin. Soudain il aperçut la damoiselle et lui demanda, cette fois de ne pas s’échapper. Alors elle se retourna, le regarda intriguée. Il se rendit compte soudainement que ce n’était pas la demoiselle, même si elle était aussi belle. Elle portait une mantille légèrement transparente qui laissait entrevoir ses cheveux carmins et dans ses mains elle tenait un bouquet de lis blancs qui semblaient empourprés par le reflet de sa chevelure. Le damoiseau, qui avait vu son âme éblouie deux fois mais son cœur immergé une seule fois, n’osa plus prononcer un mot. Elle s’en alla, marcha tout doucement vers cette petite maison qu’elle connaissait depuis toujours, lui était pétrifié. Dans la vie peu de choses peuvent nous pétrifier, l’amour est certainement la seule chose capable de pétrifier le sang. Prés de la petite maison la demoiselle s’était assise, elle pleurait. La damoiselle, sa sœur, s‘approcha:

_Que t’arrive-t-il ?

_ La guerre, cette effroyable guerre qui a détruit notre famille, et bien cette guerre, elle… elle…

_Ne dis rien, je suis déjà au courant.

_Tu sais, je ne l’ai pas fait, je n’ai pas parlé, mais j’ai vu cet homme.

_Un homme ? J’en ai vu un aussi.

_Il t’a entendu chanter et il a cru que c’était moi. Je n’ai rien dit.

_Il te cherche.

La damoiselle rentra alors dans la maison et laissa sa sœur. Le lendemain, la damoiselle s’occupait à l’intérieur de la maison et la demoiselle nourrissait les bêtes. Elle vit au loin, un messager, il déposa au pied de la porte une lettre et s’en alla. La demoiselle s’avança alors en direction de la porte de la maison. Lorsqu’elle arriva tout près de cette lettre, la porte s’ouvrit, en face d’elle, sa sœur, la damoiselle. Elles lurent la lettre ensemble :

Mesdemoiselles,

Vision d’amour, mon cœur en est lourd, hier alors, que je cherchais une proie en or, je suis moi-même devenu, une proie. L’amour m’a capturé, et ne pouvant faire un choix entre deux beautés, j’ai opté pour une autre beauté ravageuse: la guerre. Je suis un révolutionnaire, et je ne sais si j’en reviendrai. Mais je serai pour toujours bercer par cette merveilleuse voix qui m’a mis en émoi. Et si je survis, à mon retour votre maison sera la première et la seule dans laquelle je m’arrêterai, et j’épouserai celle qui sera la première à ouvrir la porte, comme on ouvre son cœur, et à me donner sa main, pour offrir le bonheur.

Alors à bientôt.

A cette lecture la damoiselle devint folle de rage, nous avons envoyé un homme à la guerre, nous sommes des monstres. La demoiselle essayait de la calmer mais rien à faire. Elle décida au bout de cinq minutes de partir :

_Mais où iras-tu ?

_Loin, juste loin

_Pourquoi ce n’est pas de ta faute, ne fais pas ça !

_Te voir est pour moi voir ma culpabilité.

Elles se regardèrent dans les yeux pour la dernière fois.

Des années passèrent, et un jour le damoiseau revint, il était en vie et cette fois la guerre était vraiment finie, même si au fond il ne savait pas ce que lui et son pays avaient gagné que la guerre avait perdu. Tant de sang avait coulé, tant de familles détruites, tant de bonheur perdu. Il arriva donc devant cette vieille maison cramoisie. Il se trouva à nouveau pétrifié, le sang glacé, il attendit des heures devant la maison. Et là, la porte s’ouvrit, une demoiselle plus tout à fait jeune, apparut sous ses yeux, soudainement son sang se réchauffa. Elle resta à le regarder, sans réaction. Ils se marièrent, eurent des enfants, furent très heureux, même si elle n’avait jamais prononcé un mot durant toute leur vie. Elle ne lui avait jamais dit que la voix qu’il avait entendue, des années en arrière, était celle de sa sœur. La demoiselle qui n’en était plus une, vivait dans un silence ensanglanté. Elle ne dormait pas la nuit, elle pensait souvent à sa sœur. Son âme finit par s’en fuir alors qu’elle cueillait quelques digitales pourpres, pour ses parents et en pensant à sa sœur. Pendant que son âme s’envolait, elle entendait les chants mélodieux qui l’avaient bercée dans son enfance, elle se sentait tranquille.

Un jour, le damoiseau, âgé d’un certain temps, alla dans la forêt pour chasser, l’air était celui du printemps. Soudain il vit chiffrer les battements de son cœur, à l’entente de cette même douceur, de cette voix qui, avait immergé son cœur, il y a longtemps déjà. Il courut en direction de cette voix, et, il se rendit compte qu’une femme âgée d’un certain temps, comme une fronde, élançait sa voix pour toucher le cœur des oiseaux. Il comprit qui elle était, elle était revenue pour mourir et être enterrer avec les siens. Elle était revenue car elle savait que sa sœur n’était plus de ce monde. Le damoiseau comprit enfin : celle qu’il croyait aimer n’était pas celle qui l’avait charmé. Lui qui avait survécu à la guerre, ne survécut pas à l’amour. A genoux le damoiseau tomba.

Alors pour lui, elle chanta :

Tu es rouge, rouge, homme de mon cœur, ton ciel se couche pour faire taire ta douleur. Je suis rouge, rouge, mon ciel se meurt, la mort me touche pour que l’amour meure. La vie est rouge, rouge, l’amour et la mort nous touchent, et le sang toujours s’en répand…

 

Priscilla



24/06/2010
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