Les Mots chantant

Les Mots chantant

Les Premiers Mots, Partie 2 L'Instant présent, du recueil Extraits de vie

Les Premiers Mots

 

Il fallait donc écrire. Trois heures du matin, l’insomnie bat son plein. Il s’est passé des choses dignes d’un roman d’espionnage. Je ne sais pourquoi ma vie s’est retrouvée prise dans un piège qui ne m’était pas destiné. Ce n’est pas juste. Mais rien ne l’est. Pour ne pas sombrer, il a fallu que j’aille chercher au plus profond de moi, non pas la force, mais qui je suis. Chercher vraiment, je me suis mise en quête de ce moi. Le seul moyen de se sortir d’une histoire comme celle-là est de réellement comprendre de quoi nous sommes faits. Ai-je atteint mon objectif ? non, c’est le voyage d’une vie. Mais j’ai suffisamment de réponses pour commencer à avancer dans le brouillard épais qui a envahi ma vie. Avant je soufflais fort dans le brouillard espérant le dissiper, mais en soufflant je ne faisais que lui donner de la force pendant que je perdais la mienne. Pour avancer dans le brouillard, il faut trouver cette petite lumière au fond de soi, petite lumière qui éclairera les petits pas que nous ferons car on ne sort pas du brouillard en courant, on ne sort pas du brouillard, il se dissipe. On ne sait jamais quand ou comment, et tout ce qu’il est possible de faire en attendant c’est continuer d’avancer. Je ne suis pas encore prête à raconter ces évènements, et je sais que je le ferai quand le brouillard se sera dissipé. Pour l’instant, la petite lumière est encore trop faible et je ne voudrai pas qu’elle s’éteigne. Qu’ai-je trouvé qui m’a permis d’avancer ? Et bien, j’ai commencé par chercher pourquoi il m’arrivait des choses insolites. Pourquoi insolites ? Parce que lorsque je les raconte à d’autres, ils sont choqués et me disent “mais c’est un film ? c’est pas possible ? “. Je me suis demandé, ce qui aux yeux des autres me rendaient si différente. J’ai toujours su que je l’étais, sans jamais vraiment pouvoir l’expliquer. Les premiers souvenirs de l’école maternelle me renvoient encore aujourd’hui à ce sentiment si fort de différence. Dans le XIIème arrondissement de Marseille, dans une petite école de quartier. Lorsque ma mère m’amenait, je ressentais lorsqu’on arrivait devant la classe l’angoisse, la peur mais déjà je savais que ces émotions ne m’appartenaient pas. Les émotions étaient celles de ma mère. Les émotions que ressent une mère qui laisse son premier enfant à l’école sans contrôle de ce qu’il pourrait bien lui arrivait. Mes émotions à moi étaient bien différentes : tout d’abord, les émotions de ma mère me transperçaient d’une vive douleur, comme bien souvent dans ma vie j’essayais de ne rien laisser paraître, il ne faut pas inquiéter maman. Et puis que lui dirais-je, je ne sais pas qualifier ce que je ressens, je dois avoir quatre ans. Alors comment lui dire que je ressens ce qu’elle ressent. Puis ce que je ressentais une fois ma mère partie, était surtout de l’ennui : je savais que j’allais passer ma matinée avec des enfants qui tous les jours répètent les mêmes choses, les mêmes jeux, les mêmes phrases mal construites, les mêmes plaintes quand les maîtresses et les tatas de l’école nous parlent… Je voulais toujours rester seule, mais les adultes ne comprenaient pas. Un enfant qui reste seul ce n’est pas normal, il faut que tout soit normal, c’est plus facile à gérer. Alors on me forçait à m’asseoir à table avec les autres filles de ma section. Je n’ai jamais su pourquoi, peut-être parce que je ne parlais pas, elles se moquaient de moi sans arrêt, elles étaient méchantes comme peuvent l’être les enfants. Mais je m’en fichais, au mieux elles m’irritaient à force de jacasser pour ne rien dire. Je voulais que l’on me laisse dans mon monde. On passait notre temps à faire des dessins, et je passais mon temps à m’ennuyer, je ne disais rien, je ne me plaignais pas, je dessinais comme les autres mais contrairement aux autres je restais silencieuse. Je me souviens de la maîtresse, ses longs cheveux noirs, ses lunettes de vu, elle était très souvent en jean et en pull over. Elle avait une assistante un peu plus jeune qu’elle et quand elles se parlaient elles se tutoyaient. Heureusement, ma mère me laissait dans cette école que lorsqu’elle allait travailler, les jours où elle était de repos, elle me gardait avec elle. Je ne comprenais pas pourquoi l’école m’ennuyait autant, ma mère m’avait expliqué avant ma première rentrée que j’allais apprendre. Alors tous les jours où j’allais à l’école, j’attendais qu’on veuille bien m’apprendre quelque chose. Et vers la fin de l’année, mon voeu s’exauça. La maîtresse se décida à nous apprendre l’alphabet et à écrire notre prénom. Enfin, oui enfin une activité intéressante, après tous ces dessins, ces coloriages sans fin, ces siestes, ces récréations à n’en plus finir, ces journées à supporter ces enfants ingrats et irrespectueux, enfin j’allais apprendre. C’est probablement à ce moment là que j’ai connu pour la première fois la déception. J’ai dû attendre mon tour pour apprendre l’alphabet et seulement les lettres de mon prénom. La maîtresse et son assistante n’étaient pas assez de deux pour enseigner à une dizaine d’enfants. Quand ce fut enfin mon tour, je voulais cacher ma joie, je me souviens que je souriais, mais je n’ai pas gardé mon sourire longtemps. Ma mère avait déjà commencé à m’apprendre les lettres de mon prénom et je me souvenais que la troisième lettre était un “i”, or la maîtresse qui apparement ne savait pas comment je m’appelais m’enseigna à écrire Présillia. Bien sûr, comment contredire un adulte quand on a que quatre  ans. Je commence par dire à l’assistante qui avait pris le relais que mon prénom ne s’écrit pas comme ça. L’assistante est surprise, mais insiste une première fois pour que j’écrive. Alors je lui dis encore que mon prénom c’est pas ce qu’elle me dit. Au bout de quelques minutes, elle se décide à aller chercher la maîtresse “ben elle me dit que son prénom s’écrit pas comme ça”. La mémoire de ma maîtresse me faisait peur, elle me regarde un bon moment, je comprends qu’elle ne se souvient pas de comment je m’appelle, se retourne vers son bureau prend une feuille et me dit : “ comment tu t’appelles ?

-Priscilla”. Elle regarde sa feuille, puis me dit “non, Présillia”. Je réponds non de la tête. je répète. La maîtresse est surprise et insiste. Je réponds non de la tête. Et elle me dit “mais moi sur la feuille d’appel j’ai pas ce que tu me dis d’écrit, tu comprends ? “. Je réponds non, car je ne comprends pourquoi sur sa feuille mon prénom n’est pas écrit comme il faut. Elle me demande d’écrire. Je réponds non de la tête. Elle insiste. Je refuse d’écrire. Alors je me fais gronder un petit peu, et comme je n’aime pas qu’on me gronde surtout parce que je n’ai rien fait pour, je m’exécute en ressentant pour la première fois de ma vie une énorme déception.  C’est finalement ma mère qui m’a appris à écrire mon prénom : “tu dis à ta maîtresse que ton prénom s’écrit comme ça et pas autrement et que si elle comprend pas j’irai la voir”. J’ai passé deux ans dans cette école et je n’ai rien appris. Au bout de ces deux ans mes parents ont déménagé dans la région Lyonnaise. J’avais six ans et je ne savais pas lire, nous n’avions pas appris à lire à l’école de Marseille. Seulement, l’école de la petite ville où mes parents avaient décidé de s’installler était très différente. Les enfants de ma classe de CP savaient tous lire et écrire. La maîtresse passait son temps à me gronder car elle ne comprenait pas que je ne sache pas lire et écrire autre chose que mon prénom, elle disait que j’étais une paresseuse qui ne voulait pas apprendre. Ma mère est allée la voir plusieurs fois, elle lui a expliqué que le niveau de l’école où j’étais inscrite à Marseille était complètement différent, malgré tout la maîtresse a continué à me fustiger. Elle me disait qu’elle ne perdrait pas son temps avec moi à m’apprendre à lire et à écrire qu’elle devait s’occuper de ceux qui voulaient apprendre et qui savaient déjà tout ça. Avec ma mère bien sûr, elle n’avait pas le même discours, elle lui disait que j’avais trop de retard et qu’elle n’avait pas beaucoup de temps pour moi puisque nous étions trente dans la classe. Cependant, elle prenait tout de même le temps de m’humilier quotidiennement. Elle donna à ma mère trois feuilles photocopiées, pour qu’elle m’apprenne à lire. Ma mère qui m’avait enseigner l’alphabet, à écrire mon prénom, m’enseigna finalement aussi la lecture. Au bout de trois jours, j’étais capable de lire seule. Le premier mots que j’ai su lire était “épée”, le suivant fut “épis” et le troisième “pomme”. A partir de ce moment là, je voulais lire tout le temps. Je croyais que la maîtresse serait contente et qu’elle serait plus gentille avec moi. Mais ce ne fut pas le cas, comme tous les matins elle m’interrogea pour la lecture. Cette fois je n’avais pas la boule à l’estomac puisque je savais lire. Je souris et commençais ma lecture quand j’eus terminé. Elle me dit “ ah enfin tu sais lire, mais bon vu le retard que tu as encore ce n’est pas gagné”. J’ai compris alors que je ne passerai pas une bonne année scolaire. Je n’ai jamais compris de quel retard elle parlait puisque dès que j’ai su lire c’est à dire deux semaines après ma rentrée tardive dans cette école, je faisais en classe les mêmes activités que les autres élèves. J’étais rigoureuse dans mon travail, j’apprenais mes leçons, je lisais encore et encore mes cahiers pour le plaisir de lire. Rien de ce que je faisais n’était suffisant aux yeux de la maîtresse. Elle avait décidé que j’étais un cancre et que je le resterai. Nous vivons dans une société où seul le regard de l’autre nous définit, le regard de l’autre est plus important que tout. Si la maîtresse dit que tu es un cancre alors, pas de doute tu en est un. Si ton patron te dit que tu es le meilleur des employés alors pas de doute, tu l’es. En réalité, si tu as peur d’être toi, si tu ne te montres pas, alors les autres décideront pour toi qui tu es pour le meilleur ou pour le pire. Celui qui fait autorité dans une situation a toujours le dernier mot même si ce mot n’est pas justement posé. J’ai toujours cherché à me libérer de ces prisons, ces cases où l’on range sagement les gens, j’ai toujours cherché ma liberté et pour moi être libre c’est n’entrer dans aucune case.

 

Priscilla



11/08/2018
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