Les Mots chantant

Les Mots chantant

La Poste, II.Les Lettres, du recueil La Mémoire Courte

II

Les Lettres

 

La Poste

 

Hier, je t’ai écrit une lettre. Je devais la poster aujourd’hui. Mais je n’ai pas pu. Alors elle est restée là, sur le bureau ; elle attend. Elle est impatiente.la vie d’une lettre est simple : on l’écrit ou plutôt on la crée puis on l’enferme dans une enveloppe pour éviter qu’elle ne s’abîme durant le voyage pour éviter qu’elle ne soit lue par une autre personne que son destinataire. Alors quand on tarde à l’envoyer, elle étouffe, elle suffoque, l’air lui manque. Elle est juste prisonnière du papier et elle n’existe pas. Son but ultime est d’être lue car c’est à ce moment là qu’elle naît, tout ce qui s’est passé avant n’est que gestation. Parfois trop impatiente, elle se laisse découvrir par des yeux indiscrets. Parfois aussi les lettres capricieuses se perdent et jamais ne viennent. Mais celle-là, je le sais, elle arrivera. Dès que je la posterai, elle tombera dans une caisse parmi d’autres lettres elle sera mélangée. Cette caisse sera entreposée dans un camion parmi d’autres caisses pleines de lettres pour un premier voyage . puis chaque caisse sera donnée à un employé de la poste, il mettra ses mains au fond de la caisse, caressera les lettres du bout de ses doigts, il les triera. Selon la destination, selon leur poids. Des caisses spéciales à chaque destination attendront ces lettres. Ma lettre encore une fois se retrouvera dans une caisse parmi d’autres lettres. Cette caisse sera entreposée dans un camion parmi d’autres caisses pleines de lettres pour un autre voyage. Elles seront livrées dans le bon dépôt postier et là encore un employé caressera ces lettres de ses doigts pour les trier. Cette fois par secteur, à chaque secteur son facteur. Ma lettre attendra son dernier voyage une nuit entière. Puis au petit matin, son voyage commencera. Dans un sac de postier sur un vélo, ou dans un chariot, elle sera bercée par le glissement des roues sur la route. Sans crier gare une main l’attrapera pour la plonger dans l’obscurité d’une boite accrochée à un mur. Elle y restera quelques heures, seule à attendre toujours impatiente que tes douces main ne la délivre de sa prison de papier, que tes yeux, enfin lui donnent vie. Mais elle ne sait pas que, comme toutes les autres lettres que je t’envoie, elle finira sa course dans une autre boite sale et pleine de mauvaises odeurs. Elle s’imagine vieillir avec d’autres lettres, elle imagine que le temps jaunira son papier et effacera son encre, elle imagine vivre tout près de toi.

 

Priscilla



31/08/2010
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