Les Mots chantant

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Mê nannu Filippo, Partie 1 Le temps passé, du recueil Extraits de vies

Carrettino Siciliano, Tony Bruni

Mê nannu Filippo*

 

Un souvenir : assise à l'arrière d'une voiture, mes pieds ne touchent pas le sol et je vois à peine à travers la vitre au-dessus de la portière arrière. Les arbres défilent ; des platanes aux couleurs de l'automne ; le soleil à peine caché par des nuages blancs ; des virages qui s'enchaînent. Mon père conduit, il jette des coups d’œil dans le rétroviseur intérieur. A cette époque il porte la moustache, la mode des années 80, il doit avoir vingt-quatre ans. De temps en temps, il me dit : « Prisci, il te parle, papy te parle ». Mon grand-père est assis à l'avant, mais le souvenir devenu flou avec le temps me laisse croire que parfois pendant ces trajets, il est assis à l'arrière avec moi. Je n'écoute pas quand ils parlent car la plus part du temps c'est en sicilien. Certaines fois, mon père insère une cassette dans le poste-radio de la voiture, de la musique italienne, napolitaine, Claudio Villa, Tony Bruni... Alors quand mon grand-père s'adresse à moi, je suis loin dans mes pensées, les pensées d'une petite-fille de quatre ans. Dans ce souvenir lointain, ma mère est présente et me dit aussi : « Prisci, il te parle ton papy, écoute papy, il te parle ».

Aujourd’hui, je regrette, j'étais bien trop jeune pour comprendre à quel point il est important de partager des instants avec les personnes que l'on aime et à quel point il est important de les écouter tant que la vie nous le permet.

C'est un trajet que l'on faisait souvent. Où va-t-on ? Chez ma grand-mère maternelle, Yvette, pour le café. En voiture, de chez nous ce n'est pas loin. Vers la fin du trajet, on passe devant un centre équestre, rue des Hauts Bois, et chaque fois mon grand-père se retourne vers moi et s'écrie avec son fort accent : « Priscilla, règarde, règarde ! Règarde les tchevals ! ». Alors, je m'accroche à la portière et j'essaie de voir les chevaux. Mon grand-père me regarde et attend de voir mon visage s'illuminer à la vue de ce majestueux animal.

Par ce souvenir, je n'ai pas besoin de photo, je n'ai qu'à fermer les yeux pour voir le visage souriant et rassurant di mê nannu Filippo.

 

*Mon papy Philippe (langue sicilienne)

 

Priscilla



24/09/2013
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