Les Mots chantant

Les Mots chantant

A quoi bon, du recueil Consciences

A quoi bon

 

J’avais échoué encore. Je ne voulais plus penser. A quoi bon. Je me suis installé sur le divan, j’ai fermé les yeux. J’ai entendu une voiture de pompiers alors je me suis approché de la fenêtre. J’ai pensé. Pensé. Peut-être pour panser. Puis perdu dans les pensées, je suis sorti. Je me disais qu’il ne fallait pas penser. A quoi bon. Je me suis installé au café du coin, au Bar Jo, je me suis dit que le jeu de mots était bien trouvé. Barjo. Comme moi. Je m’obstine à faire des études. Moi, le fils d’ouvriers. Moi, qui ne suis finalement qu’un bon à rien. Qu’est ce que je vais devenir ? Là, j’ai pris un café. Vas y gaspille, fada. T’as pas un rond et toi tu vas prendre un café. De toute façon, t’es qu’un con. A quoi bon. Vivre.  Va falloir avouer aux parents aux amis. T’es qu’un nul. Tes résultats sont minables. Comme toi. Tu sais pas ce que tu veux. Décide toi t’as plus vingt ans.  A quoi bon…

Merde, merde, faut pas penser. Malgré tout j’ai pensé. Je savais qu’il ne fallait pas que je le fasse. Mon tel sonne. Je veux pas. Je ne répondrai pas. Je fais quoi maintenant. Qu’est ce que je vais devenir ?

J’ai payé. J’suis parti. J’ai marché jusqu’à la fac. 3, place Victor Hugo. Je suis entré et j’ai marché. Jusqu’à l’ancienne bibliothèque. Je voulais voir une dernière fois ces lieux, ceux que j’avais décidés de quitter. Et puis je me suis dirigé vers les salles du deuxième étage. Ces salles où j’ai étudié. Tu parles. Je suis entré en 206. Les salles sont toujours ouvertes. Une grande salle, tout à l’air neuf, comme le premier jour. Je me suis assis à ma place habituelle. Et je me suis dit une nouvelle fois qu’il fallait éviter de penser.

Ouai c’est ça, évite de penser. C’est tout ce que t’es capable de faire de toute façon. Si tu pensais plus t’aurais pas échoué pff t’es content maintenant tu vas passer ta vie à regretter, à travailler dans une usine. Tout ce que tu devais faire tu l’as raté. Ta vie est nulle, tu sers à rien, t’es bon à rien. T’es qu’un raté, un pauvre con, un gros nul…

Je me revois agir comme si j’étais à l’extérieur de moi. J’ai giclé la table, jeté la chaise contre la fenêtre, la vitre s’est brisée. J’ai prit une autre chaise et j’ai… j’ai frappé à plusieurs reprises le tableau avec la chaise. J’ai jeté la brosse du tableau contre un des murs. Et en me retournant, j’ai vu les pompiers, ceux de l’accueil. Ils me regardaient et l’un d’entre eux m’a dit de me calmer. Alors là c’est comme si j’avais réintégré mon corps. J’ai lâché ce que j’avais dans mes mains, une autre chaise, je crois. J’ai pris un ton navré et dit que j’étais désolé, j’ai pleuré. Je leur ai dit que tout est arrivé parce que j’ai pensé. Fallait pas que je pense, fallait pas, non… fallait pas. Les condés sont arrivés, ils se sont jetés sur moi. Je me suis laissé faire, j’ai pas riposté. Ils m’ont frappé, j’ai pas riposté. M’ont insulté, j’ai pas riposté. Je pleurais. Là, je ne m’entendais plus penser.

*

Quand je suis arrivé au commissariat, j’arrivais pas à y croire. Mon fils, mon cher fils, le sérieux de la famille, le seul à avoir fait des études. Le seul qui avait un avenir. Je me suis approché de la policière et j’ai essayé de lui parler mais aucun mot sortait de ma bouche. Enfin au bout de cinq longues minutes, j’ai réussi à lui donner mon nom et à lui dire pourquoi j’étais là. Elle s’est levée et est allée chercher un autre policier. Il est venu et m’a parlé. Je me souviens encore de ces mots « Madame, votre fils a été arrêté pour avoir saccagé une salle de cours à l’université de Saint Charles… » Ces mots ont déchiré mon cœur. Après il m’a demandé si je voulais le voir. J’ai dit oui et non. Trop en colère, trop de colère. Je ne pouvais pas. Mais pourquoi ?

*

 

J’étais assis et un des condés m’a dit que ma mère était là. Je voulais, fallait pas, non, pas elle, pas qu’elle me voit comme ça. Elle avait les larmes aux yeux, sa tenue de travail, ses clés de voiture à la main, en me voyant elle a pleuré. Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? On a pleuré.

L’université a déposé une plainte, je n’ai pas les moyens de payer ce que j’ai saccagé. Je ne veux pas que ma mère paie quoique ce soit. Non impossible. Ils ne me veulent plus en tant qu’étudiant, je n’ai plus le droit de pénétrer dans l’enceinte de la faculté. Normal. Adieu les études, fini. Je n’aurais cas m’inscrire au chômage et attendre qu’une usine veuille bien de moi. Malgré tout, ma mère est toujours là, elle me soutient, elle me dit que je devrais passer les concours de la fonction publique. Je ne veux pas car si j’échoue… j’irai sûrement tout droit à l’asile cette fois. Mon avenir, mon avenir,  quel avenir ? Les jours vont passer, les mois, les années … tout ça, ça va passer. Mais au fond j’oublierai jamais. Leurs regards, leurs regards que je ne voudrais pas comprendre mais que je lirai sans problème. La déception. Moi, que l’on considérait comme l’exemple à suivre, je n’ai jamais demandé ça, jamais. Je voulais rien, juste  un diplôme, un travail correct, une vie de famille. Je serai quoi ?  Un ouvrier, comme ma mère, comme mon père. Je leur avais promis que je m’en sortirais, je serais fort, une réussite, mais tout ce que j’ai fait, tout ce que j’ai fait c’est … j’ai… non. J’ai échoué.

Je voulais changer le monde, le rendre meilleur, mais à quoi bon, à quoi bon si le monde ne veut pas de moi. Qui voudrait de toi.

 

Priscilla



24/06/2010
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